Dans cet article, Christian Folzer, thérapeute transpersonnel, explore l’irruption d’une altérité pure, radicale, qui bouleverse les repères ordinaires. Une plongée profonde dans les états modifiés de conscience, les présences mystérieuses, et les questions que soulèvent ces expériences. À travers le récit d’Émile, il interroge l’impact de ces visions sur la psyché humaine, et l’importance d’un cadre d’intégration après coup.
Qu’est-ce que l’altérité radicale ?
L’altérité radicale désigne une forme d’Autre qui ne peut être reconnue, ni digérée dans les cadres habituels de l’expérience humaine. Ce n’est pas simplement une différence de culture, de langue ou de croyance. C’est une différence ontologique. Quelque chose qui ne vient pas de notre monde, quelque chose qui ne pense pas, ne perçoit pas, ne ressent pas comme nous. L’extraterrestre, au sens symbolique du terme, en est l’image. Non pas un petit homme vert venu de l’espace, mais une présence non humaine, étrangère à toute logique familière : une étrangeté radicale. Lorsque cette altérité surgit dans le champ de conscience, elle bouleverse les repères, interrompt la narration du monde connu et de soi, et laisse un sujet sidéré face à un impossible à penser.
Cette irruption est impossible à traduire dans nos cadres occidentaux. Freud parlerait certainement de retour du refoulé et Jung de contenu archétypal. Mais ces grilles ne suffisent pas. Cette rencontre va au-delà de la psyché personnelle ou collective. Elle touche à l’irruption, la rencontre d’une altérité pure, dénuée de tout reflet humain. Une entité sans visage connu, sans langage familier, sans intention lisible. Juste une forme, un regard, une présence. Cette inquiétante étrangeté prend alors une tout autre ampleur. Non plus une étrangeté au sein du connu, mais une altérité radicale au sein même du réel. Un réel fissuré, où quelque chose « d’autre » fait effraction.
Dans le domaine des expériences non ordinaires, cette altérité peut surgir sous forme de visions, de présences, de la sensation puissante de ne plus être seul, voire d’être « habité ». Et cela ne relève ni de la folie, ni de l’imaginaire. Et cela ne laisse pas insensible, voire provoque la peur. C’est ce que Rudolf Otto nommait le mysterium tremendum, ce mélange d’effroi et de fascination, d’attirance et de terreur, devant ce qui dépasse l’humain sans pour autant l’anéantir. Une altérité sacrée, numineuse, qui ne se laisse ni expliquer, ni rejeter, mais qui entraine un remaniement intérieur profond.
Comment se manifeste l’altérité radicale ?
L’altérité désigne en général ce qui est autre que soi. Dans sa forme ordinaire, elle structure la relation humaine : reconnaître l’autre dans sa différence, interagir sans confondre. L’altérité est donc toujours relationnelle. Elle n’existe pas en soi, mais dans le lien. Dans la manière dont un sujet perçoit un autre comme étant distinct de lui, mais digne d’être écouté, compris, accueilli. Cette forme d’altérité est fondatrice du lien social, de la pensée, de l’éthique sociale.
L’autre m’oblige, m’ouvre, me décentre. L’altérité humaine est donc une chance, parfois une épreuve. Mais l’altérité radicale, telle que décrite dans les états amplifiés de conscience, va bien plus loin. Elle n’appelle pas la compréhension. Elle ne demande pas le dialogue. Elle ne cherche même pas à être perçue. Elle surgit et s’impose. Ce n’est pas une rencontre, c’est une visitation, une effraction, une fracture dans le tissu ordinaire de la réalité.
Ce type de manifestation peut prendre de nombreuses formes : une voix, une image sidérante, un surgissement de figures inconcevables une sensation d’être regardé de l’intérieur, scruté au plus profond. L’esprit humain, pour s’en défendre, va tenter de les nommer : entités, esprits, extraterrestres, symboles, projections. Mais aucun de ces mots ne suffit. Car ce qui est vécu, ce jour-là, n’est pas une hallucination, mais une réalité ; une réalité trop vaste pour être intégrée d’emblée. Une présence si forte qu’elle laisse un avant et un après. Une fois la rencontre réalisée, l’impossibilité à revenir exactement au monde connu tel qu’il était auparavant.
Le problème ne vient pas tant de la nature de l’expérience que de la solitude dans laquelle elle laisse le sujet. Dans les sociétés traditionnelles, ces rencontres sont balisées. Elles sont attendues, interprétées, ritualisées. Mais dans nos sociétés modernes, elles tombent dans un vide cognitif et symbolique. Le médical les rejette, le spirituel les récupère parfois sans prudence. Il reste peu d’espaces où l’on peut simplement dire : « J’ai vu », ou mieux encore : « j’ai vécu ». Et laisser cette parole exister, sans la nier, ni la sacraliser à outrance. C’est ce manque de cadre, cette absence d’accompagnement de l’après, plus encore que l’expérience elle-même, qui rend cette traversée si difficile.
Altérité radicale et cérémonie chamanique : une rencontre possible ?
Oui, et c’est même l’un des lieux privilégiés de cette rencontre. Dans certaines cérémonies chamaniques, les protocoles, les chants, les plantes maîtresses et les dynamiques de groupe peuvent ouvrir un espace où cette altérité radicale se rend accessible. Elle n’est ni garantie, ni convoquée à volonté. Mais elle est possible. La scène est posée pour qu’elle se manifeste, si elle le souhaite.
Emile, 59 ans, dirigeant d’entreprise
Cérémonie Ayahuasca avec des chamanes Huni Kuin en Suisse, dans une ferme, avec des vaches et de l’herbe grasse. Les chamanes, venus de la province d’Acre, au Brésil seront exceptionnels dans leurs chants. Ensemble, à capella, ils conduiront une soucoupe volante qui emmènera les participants dans d’autres mondes.
Et c’est bien ce qui se passera cette nuit-là pour Émile. D’abord, il verra les mêmes scènes, yeux ouverts ou fermés. Impossible de se cacher, de fuir. Une réalité lumineuse, omniprésente, pesante, inconfortable.
Puis les chamanes se transformeront. De petits Indiens coiffés de longues plumes, saturés de cannabis qu’ils piochaient sans discontinuer dans une grosse boite en fer blanc Banania, il verra ce qu’ils sont réellement : des géants, habités par des esprits de la forêt. Et puis il verra les ombres. Des silhouettes géantes, sombres. Pas forcément malveillantes ni agressives. Juste indifférentes. Mais potentiellement, infiniment dangereuses. Bien plus fortes en toutes choses qu’un petit humain comme lui. Ce soir-là, il se sentira une toute petite chose, ridicule, minuscule dans ce jeu multidimensionnel.
Émile aura très peur, ce soir-là. Il confiera avoir été glacé d’effroi, avoir voulu, à plusieurs reprises, appeler les chamanes pour qu’ils arrêtent ça, pour qu’ils le sortent de là. Il ne l’a pas fait. Figé. Et aussi aventurier, décidé à aller au bout de l’expérience.
N’empêche. Il a eu sacrément la frousse, ce soir-là. Une peur animale qui prend aux tripes, au point de ne jamais vouloir remettre les couverts avec cette ethnie. Pourtant Émile est aventureux, avec une solide expérience des voyages psychédéliques, en Europe et en Amazonie.
Aussi, à sa plus grande surprise, il avait constaté que les têtes « amplifiées » des chamanes «, gigantesques, colorés de couleurs vives, correspondaient point pour point à une figure artisanale bien connue dans les boutiques pour touristes à Quito, en Équateur, à des milliers de kilomètres de l’Acre. Les visions chamaniques pouvaient donc apparaitre de chaque côté de l’Atlantique, et entre pays amazoniens dans des ethnies différents. Les esprits de la forêt pouvaient émerger dans le Jura suisse comme dans la selva. Et surtout, ces visions, ces esprits, étaient si présents qu’ils avaient donné naissance à un artisanat figé pour tout un pays. Quand on sait que là-bas on les appelle los diablos, on comprend mieux l’effroi d’Émile.
Ce qu’il a vu ce soir-là, Emile ne peut ni le prouver, ni l’oublier. Il sait que c’est vrai. Et ce savoir n’est pas une croyance, mais une empreinte.
Intégrer une expérience d’altérité radicale : un défi psychique et existentiel
Ces récits ne sont pas rares. On les retrouve dans les témoignages sous LSD, DMT, ayahuasca, 5-MeO-DMT. Ils portent tous une même empreinte : le trouble, l’impossibilité de relater vraiment, aussi la difficulté à raconter sans se mettre en danger. Et surtout, la certitude d’avoir vu et vécu quelque chose de réel.
Pour le thérapeute transpersonnel, il s’agira juste d’accueillir. Sans pathologiser, et sans adhérer aveuglément non plus.
Et c’est là que l’intégration prend tout son sens. Accompagner quelqu’un qui a vu l’Autre, c’est l’aider à rester entier. À transformer l’effroi en ressource. À faire du vécu une part de son histoire, sans le réduire ni l’amplifier. Offrir un cadre où l’inconcevable puisse simplement coexister avec le quotidien. Où l’expérience reste vivante, mais n’écrase pas le sujet. Ce n’est pas une tâche facile. Mais c’est peut-être une des plus belles formes d’accompagnement que l’on puisse offrir.
A Neuilly, le 7 juillet 2025
🖋️ À propos de l’auteur
Christian FOLZER est thérapeute transpersonnel.
Ancien dirigeant dans de grands groupes français, il a piloté des réseaux complexes en situation de crise avant d’orienter son parcours vers l’accompagnement de l’après : l’après-expérience extraordinaire, l’après-crise existentielle, l’après-émergence spirituelle.
Formé à la thérapie transpersonnelle, nourri par un long compagnonnage avec les traditions chamaniques, les arts symboliques et l’acte créatif, il propose une démarche intégrative de ces expériences de bascule.
Il reçoit en cabinet à Neuilly-sur-Marne et anime, avec sa femme Myriam, des retraites immersives au Nid, un lieu sauvage dédié à la transformation intérieure.
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Pour aller plus loin
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